Les articles du Dr Emperaire

Pourquoi est-ce que je fais des fausses couches à répétition ?

Chaque grossesse qui débute comporte un certain nombre de risques, le premier d’entre eux étant de cesser d’évoluer et de se terminer par une « fausse couche » spontanée (FCS). Il s’agit toujours d’un événement qui suscite à la fois inquiétude et frustration, surtout lorsque ce début de grossesse a été le résultat de beaucoup d’efforts. Il ne sera question ici que des FCS précoces, c’est-à-dire intervenant avant le 3° mois, sachant que la plupart d’entre elles se produisent avant la 9° semaine d’aménorrhée.

La survenue d’une fausse couche représente pourtant un phénomène « banal » puisque’ il termine environ 15%, des grossesses, soit une sur six, chez la jeune femme. Il est généralement lié à un accident survenu au cours de la fécondation : une erreur se produit au cours de l’appariement entre les 23 chromosomes de l’ovocyte et les 23 chromosomes du spermatozoïde, et se perpétue au cours des divisions de l’embryon jusqu’à ce que le logiciel génétique « plante ». Il n’est bien sûr pas possible de prévenir et encore moins de traiter une telle erreur de la loterie génétique de la vie. Le taux de risque de cette anomalie augmente à mesure que la qualité de l’ovocyte (et, dans une moindre mesure, du spermatozoïde) diminue avec l’âge : le risque de fausse couche approche 50% chez la femme de 43 ans.

C’est la raison pour laquelle une première fausse couche est mise sur le compte de la malchance, et ne justifie pas d’exploration particulière, car elle va très probablement rester unique : tout le monde connait des couples qui ont constitué une famille sans difficulté particulière et qui ont eu à vivre une fausse couche.

Une deuxième fausse couche, par contre, commence à poser problème. Il n’y a en effet qu’une alternative : soit il s’est produit à nouveau un accident aléatoire lors de la fécondation, ce qui reste possible avec beaucoup de malchance ; soit il existe un risque accru de fausse couche pour des raisons qu’il reste à déterminer. A ce stade, les couples réagissent différemment : certains vont insister et réessayer, estimant qu’une nouvelle FCS est peu probable, d’autant qu’il s’agit là d’une perspective malheureuse mais dénuée de danger réel ; d’autres, au contraire, n’envisagent pas un nouvel épisode pénible et voudront s’assurer que leur prochaine grossesse aura toutes les chances d’évoluer normalement.

Une troisième fausse couche, par contre met tout le monde d’accord : il s’agit de FCS à répétition. A moins d’une malchance féroce, toujours possible, un risque accru de fausse couche est probable, qu’il convient de rechercher et de prendre en compte avant une nouvelle conception.

QUELLES CAUSES ?

La cause de l’interruption spontanée d’une grossesse se situe soit à l’intérieur de l’oeuf lui-même, soit dans son environnement.

CAUSES INTRA-OVULAIRES

Ce sont les plus fréquentes. Elles sont secondaires à des anomalies chromosomiques qui surviennent au moment de la fécondation :

  • Anomalies dans le nombre de chromosomes, les plus fréquentes, et dont le risque augmente avec l’âge ;
  • Ou échanges déséquilibrés de matériel entre les chromosomes, beaucoup plus rares et parfois liés à la présence d’une anomalie chromosomique équilibrée chez l’un des partenaires. Ces situations sont détectées par l’étude des chromosomes, ou caryotype, qu’il faut évidemment demander  chez les deux partenaires.

Ces anomalies chromosomiques peuvent aboutir au développement d’un « oeuf clair » :  le sac embryonnaire commence à se développer, mais l’embryon ne s’y forme pas.

CAUSES EXTRA-OVULAIRES

Il existe de très nombreux facteurs qui augmentent le risque de fausse couche à tout âge, sans toutefois entrainer des accidents à répétition. Il est impossible de tous les citer. Disons simplement que c’est le cas de presque toutes les maladies aigües ou chroniques, et de la plupart des conditions pathologiques. Parmi les facteurs comportementaux, on peut sans surprise citer le surpoids, le tabagisme, la consommation excessive d’alcool et de substances addictives.

Il existe toutefois des causes plus spécifiques d’accidents à répétition, et qu’il convient de rechercher systématiquement au cours d’un bilan précis :

  • Les causes utérines entraînant des déformations de la cavité et préjudiciables à la croissance ovulaire : malformations, fibromes sous-muqueux, polypes, adénomyose principalement. Il peut également s’agir d’une synéchie, accolement muqueux secondaire à un précédent curetage : il est ainsi possible de faire une fausse couche banale, mais dont le curetage évacuateur crée une synéchie plus ou moins s étendue responsable d’accidents ultérieurs à répétition. Ces anomalies organiques sont détectables par l’imagerie : échographie, hystérosalpingographie et parfois IRM.
  • Les causes hormonales : toute dysfonction en plus ou en moins d’une glande endocrine est susceptible d’augmenter le risque de FCS. Mais il s’agit ici plus précisément des anomalies de la maturation folliculaire, ou dysovulations, responsables de corps jaunes défectueux et incapables de soutenir les premières semaines post-implantation ; on les met en évidence par un bilan hormonal de la phase lutéale comportant la datation d’une biopsie de l’endomètre.
  • Les causes immunitaires: l’implantation embryonnaire, comme les semaines qui suivent et d’ailleurs l’ensemble de la grossesse, sont sous l’influence de facteurs immunitaires précis. On peut distinguer deux niveaux :
    • Les anomalies immunitaires générales inhibant le développement de l’œuf : anticorps antinucléaires, anticoagulants, antiphospholipides, anomalies génétiques de la coagulation …  On les détecte par un bilan sanguin orienté ;
    • Les anomalies immunitaires locales au niveau de l’endomètre lui-même, que l’on peut caractériser sur un biopsie d’endomètre par la technique MatriceLab.

C’est pourquoi un bilan complet à la recherche d’un risque accru de FCS doit comporter au moins :

  • La recherche de facteurs comportementaux et environnementaux favorisants ;
  • Une imagerie de l’appareil génital ;
  • Un bilan hormonal pour mesurer de la réserve ovarienne, et rechercher une dysovulation ;
  • La recherche d’anomalies immunitaires ;
  • A partir de la 3° FCS, le caryotype des deux partenaires se justifie, voire dans certains cas une étude MatriceLab (non remboursée).

Il est inutile de souligner que mieux vaut ne pas débuter une nouvelle grossesse avant de connaitre les résultats de ces différentes explorations, et de les avoir pris en compte.

La difficulté de cette situation provient du fait qu’à la fin d’un bilan complet, plus de la moitié de ces accidents à répétition restent sans cause apparente.

QUEL TRAITEMENT ?

Il va de soi qu’un traitement spécifique doit être mis en œuvre pour toute anomalie identifiée : correction d’une anomalie anatomique, stimulation de l’ovulation, prise en compte des facteurs immunitaires …                                                                                  Certaines anomalies, par contre, ne pourront pas être corrigées, comme une insuffisance ovarienne précoce : mais la cause de leurs déboires étant connue, certains couples choisiront d’en rester là, alors que d’autres préféreront continuer à tenter leur chance. C’est également le cas lorsqu’il existe une anomalie chromosomique chez l’un des partenaires, qui ne peut être corrigée mais peut trouver sa solution dans le diagnostic préimplantatoire.

Mais quelle attitude adopter chez les couples, les plus nombreux, chez lesquels un bilan extensif ne met en évidence aucune anomalie crédible ? La situation est d’autant plus compliquée que :

  • Même après un certain nombre de FCS, la grossesse suivante est parfaitement susceptible d’évoluer jusqu’à terme sans aucun traitement ;
  • Même en cas de traitement d’une anomalie parfaitement identifiée et correctement traitée, il persiste le risque incompressible d’une fausse couche accidentelle aléatoire, comme chez le couple qui n’a jamais fait de FCS ;

Face à cette situation, les attitudes médicales divergent :

  • Certains spécialistes, en l’absence de solutions basées sur les preuves (« evidence based medicine »), s’abstiendront de tout traitement et n’offriront au couple que de l’empathie et des encouragements ;
  • Les autres,  dont je fais partie, et ne serait-ce que pour tenter d’éviter au couple du stress important d’une nouvelle  expérience « sans filet », proposeront des stratégies basées sur leur expérience (« experience based medicine »). Ces tentatives de traitement largement empiriques, où la progestérone naturelle tient une large place, peuvent se justifier à condition de ne comporter aucun risque pour le couple ni pour l’embryon :  l’aspirine, les anticoagulants ou encore les corticoïdes, notamment, sont loin d’être des traitements anodins ou « passe partout », et leur prescription doit  être soigneusement pesée et pouvoir se justifier.

En cas de succès, certes, nul ne saura jamais si cette évolution heureuse est réellement liée au traitement : mais qui s’en soucierait ?