Les articles du Dr Emperaire

Fécondation in vitro : illusions et réalités

La réussite de la fécondation in vitro (FIV) pour la première fois en 1978 grâce à Patrick Steptoe et Robert Edwards représente incontestablement une immense révolution  dans la prise en charge des couples infertiles, sans aucun doute la plus importante.

Cette fécondation de l’ovocyte en laboratoire était initialement destinée aux femmes dont les trompes utérines, lieu de la fécondation in vivo, étaient irrémédiablement endommagées ou absentes. Par la suite, et à mesure que cette technique s’est étendue et que ses résultats ont progressé, la FIV a peu à peu été appliquée à toutes les causes d’infertilité ; son dernier succès réel a été la réussite de la micro-injection ovocytaire (ICSI), permettant d’utiliser des spermes très perturbés avec des chances de succès normales, alors que jusque-là le seul recours des couples ainsi affectés était l’insémination par donneur.

Il s’ensuit qu’à l’heure actuelle, tant pour la plupart des couples concernés que pour beaucoup de médecins de la reproduction, la FIV représente la seule solution crédible à mesure que l’infertilité dure ou que le temps passe.

C’est toutefois prendre le risque à la fois de faire l’impasse sur des stratégies moins invasives et qui ont fait leurs preuves, et de donner trop de crédit aux chances réelles de succès qu’apporte la FIV.

QUELS SONT EN EFFET LES RESULTATS DE LA FIV DANS LA VRAIE VIE ?

Les chiffres dont nous disposons maintenant avec un certain recul sont pour le moins mitigés, et ils sont de plus entourés d’un certain flou, dans les media notamment. Il en résulte que les couples concernés n’en ont en général qu’une idée assez vague. Combien en effet savent que :

  • Environ 60% des embryons crées in vitro ne sont pas aptes à se développer, proportion qui atteint 80% après l’âge de 40 ans ;
  • Les chances de réussir en FIV sont fonction de trois paramètres seulement, quelle que soit la cause de l’infertilité :
    • L’âge de la femme : les chances de concevoir in vitro diminuent avec l’âge, comme en fécondation naturelle ; la FIV n’a aucun impact sur la qualité ovocytaire ;
    • La réserve ovarienne : les chances sont d’autant meilleurs qu’elle est importante, ne serait-ce qu’ à cause du nombre d’ovocytes qu’il est possible de recueillir, donc du nombre d’embryons formés ;
    • Les résultats du Centre de FIV lui-même : ils varient d’un centre à l’autre de 13% par tentative à 37%, soit du simple au triple ; mieux vaut résider près d’un Centre FIV performant;
  • Les chances de grossesse cumulées par tentative (embryon frais et embryons congelés) sont en moyenne de 27% en France; il s’agit d’un pourcentage moyen, couvrant de grandes disparités entre les couples et les centres ;
  • La principale cause d’échec est l’abandon : expliqué principalement à la fois par le caractère souvent pénible de la tentative, et par le découragement qui s’installe : en cas d’échec de la première tentative, un couple sur quatre abandonne ; cette proportion monte à un couple sur deux après un deuxième échec, et trois couples sur quatre après le troisième. Pourtant, les chances de succès restent stables au cours des tentatives : elles existent encore sur le dernier embryon congelé de la dernière tentative. Mais combien de couples ne se sentent plus la force de persévérer ?
  • Au total, les chances d’accoucher par FIV ne dépassent pas 50% à la fin des 4 tentatives ; et encore s’agit-il des femmes de bon pronostic, ce résultat étant évidemment réduit chez les autres ;

 

Ceci étant donné, il y n’a que deux types de situations : celles où la FIV est d’emblée nécessaire, et les plus nombreuses, celles où elle ne représente qu’une option parmi d’autres.

LES SITUATIONS OU LA FIV S’IMPOSE D’EMBLEE: en dehors de cas particulier et d’anomales rares, il n’en existe en réalité que trois où la grossesse n’est pratiquement pas possible sans FIV :

  • Les trompes utérines détériorées, et les anomalies pelviennes en général empêchant la rencontre du spermatozoïde (spz) et de l’ovocyte ;
  • L’endométriose avancée avec kystes ovariens endométriosiques et/ou lésions pelviennes profondes atteignant l’appareil digestif terminal et/ou la vessie et les uretères ;
  • Les anomalies spermatiques sévères rendant hautement improbable la fécondation, et inaccessibles à la simple insémination intra-utérine (IIU), et grâce à l’apport de l’ICSI ;

DANS TOUTES LES AUTRE SITUATIONS, LA FIV N’EST PAS IMPERATIVE :                                                             

  • Les anovulations et les nombreuses dysovulations se traitent par la stimulation ovarienne simple ;
  • Les anomalies d’interaction sperme/glaire se traitent par l’IIU ;
  • Les infertilités inexplicables se traitent d’abord par une simple stimulation par les gonadotrophines, qui corrige l’essentiel des dysfonctionnements qu’on ne se donne plus la peine de rechercher : anomalies du développement folliculaire, de la glaire cervicale, du pic ovulatoire de gonadotrophines, de la libération ovocytaire, de la phase lutéale …

Ce n’est que lorsque ces traitements de première intention ont échoué que l’AMP devient nécessaire. La réalité est que de moins en moins de gynécologues veulent ou savent conduire ces stimulations, d’où la tendance à référer vite les couples dans les centres d’AMP.

Deux situations fréquentes où les femmes sont dirigés d’emblée vers la FIV sans rationnel bien clair :

  • Celles qui atteignent l’âge de 38 ans, voire de 35 ans ;
  • Celles dont le taux d’AMH, paramètre important de la réserve ovarienne, est < 1,5 ng/ml ;

« Il ne faut pas perdre de temps » tient lieu de diagnostic et de stratégie, en oubliant que rien, même la FIV, ne peut améliorer la quantité ni la qualité ovocytaire, et que ces patientes ne sont pas celles de meilleur pronostic en FIV.

Ce n’est pas parce qu’on atteint 38 ans ou que sa réserve ovarienne est modeste qu’il faut faire n’importe quoi : l’âge et le taux d’AMH ne dispensent pas d’une enquête étiologique sérieuse, et le cas échéant d’un traitement de première intention limité à 3 ou 4 cycles. Chez les femmes qui ne deviennent pas enceintes de la sorte, peut-on croire sérieusement que ces 3 à 4 mois « perdus » en stimulation simple vont compromettre leurs chances de succès en FIV ? Trois à quatre mois, c’est souvent le temps nécessaire selon les Centres AMP et les périodes de l’année pour obtenir un premier rendez-vous, sans parler des délais de prise en charge. Le risque de perdre du temps n’est pas où on le croit.

Les Centres d’AMP déplorent régulièrement que les couples s’adressent à eux trop tard, ce qui est sans doute vrai pour certains d’entre eux. Mais combien de couples mal orientés y  arrivent trop tôt et n’ont rien à y faire ?

Il arrivera peut-être un jour où la fécondation artificielle assurera à chaque femme d’accoucher d’un enfant en bonne santé.                                                                                                                                       

Dans l’intervalle, en dehors de ses trois indications incontournables et de cas particuliers, et tant que ses résultats resteront aussi aléatoires, la FIV ne doit représenter que le dernier recours pour les couples en désir d’enfant.