Lorsque plusieurs transferts de « beaux » embryons, frais ou congelés, ne sont pas suivis de début de grossesse, le couple est en droit de se demander s’il n’y a pas d’autre facteur d’échec à l’oeuvre en dehors du simple phénomène chance / malchance.
TOUT D’ABORD, QU’EST-CE QU’ON APPELLE UN « BEL EMBRYON » ?
Tout d’abord, les embryons chromosomiquement normaux sont appelés euploïdes. II est fréquent que, même dans les meilleures conditions, la fécondation au laboratoire de l’ovocyte par le spermatozoîde ne se passe pas bien : au lieu de s’unir parfaitement pour donner un embryon euploïde, la jonction entre les 23 chromosomes de l’ovocyte et les 23 chromosomes correspondants du spermatozoïde se fasse mal ; l’embryon ainsi formé, appelé aneuploïde, est porteur d’un désordre chromosomique, qui le destine à une incapacité de s’implanter, ou à occasionner une fausse couche d’autant plus précoce que le désordre est important. Décider de la qualité d’un embryon reste actuellement un jugement purement morphologique, basé sur son aspect au microscope : nombre et régularité des cellules, présence de fragments, vitesse d’évolution … Les embryons de mauvaise qualité manifeste vont être écartés, et les « beaux » embryons vont être transférés, ou congelés en vue d’un futur transfert.
Il se trouve que l’aneuploïdie n’est pas reconnaissable au microscope simple, et qu’une bonne proportion de « beaux », « magnifiques », « top » embryons est aneuploïde, et n’a aucune chance d’aboutir à une grossesse évolutive : beaucoup de transferts embryonnaires sont inutiles.
Une meilleure évaluation de la qualité embryonnaire semble avoir été apportée par l’embryoscope, qui permet d’observer l’embryon sans avoir à le manipuler, et mieux apprécier ainsi la dynamique de son évolution. L’introduction de cette donnée dans l’évaluation qualitative de l’embryon semble avoir amélioré sa pertinence : encore que nombre de biologistes restent persuadés que cette amélioration est en réalité due à la non manipulation des embryons plutôt qu’à la prise en compte de la dynamique embryonnaire observée.
L’adjonction de l’intelligence artificielle à ce processus de jugement qualitatif est trop récente pour juger de son apport réel, d’autant qu’il existe presqu’autant de logiciels différents que d’équipes. Une chose reste sûre aujourd’hui : aucun biologiste au monde n’est capable de reconnaître à coup sûr un embryon qui va s’implanter.
COMMENT RECONNAÏTRE UN EMBRYON GENETIQUEMENT COMPETENT ?
Le diagnostic préimplantatoire (DPI ou PGT-A) permet de déterminer si un embryon est euploîde ou non. Il consiste à prélever une cellule de l’embryon, et à évaluer son capital génétique ; ne sont alors transférés que les embryons génétiquement normaux.
On pourrait croire qu’il s’agit là de la technique miracle pour régler tous les problèmes d’implantation ; mais ce n’est pas si simple, car même cette stratégie a ses limites :
- Le prélèvement lui-même peut endommager l’embryon et compromettre son développement. Une nouvelle technique, le DPI non invasif (niPGT) propose d’analyser le matériel chromosomique non pas de l’embryon lui-même, mais des cellules contenues dans son milieu de culture ; il est encore trop tôt pour savoir si cette approche remplacera la biopsie embryonnaire.
- Le prélèvement d’une cellule de la partie superficielle de l’embryon, qui donnera le placenta, n’est pas forcément représentatif de la partie centrale de l’embryon, qui donnera le foetus.
- Beaucoup d’embryons sont constitués de mosaïques, contenant à la fois des cellules euploîdes et des cellules aneuploïdes. Or ces mosaïques sont parfois capables de se corriger spontanément, et d’aboutir à un embryon susceptible de s’implanter et donner issue à un enfant en bonne santé : écarter de tels embryons pourrait entraîner une perte de chances pour la patiente.
C’est pourquoi le DPI n’est pas la solution universelle, et il convient là encore d’évaluer la balance bénéfices (assurer le transfert d’un embryon euploïde) / risques (endommager l’embryon, écarter des embryons finalement compétents …). La plupart des publications indiquent que l’intérêt du DPI augmente avec l’âge, puisque la proportion d’embryons aneuploïdes augmente rapidement à partir de 35 – 38 ans.
De toutes manières, le DPI pour FIV est interdit en France, où les 6 centres agrées sont noyés sous les demandes autorisées de DPI pour maladies génétiques. Une exception française : le PGT-A fait partie des techniques de semi –routine dans la plupart des Centres d’AMP des autres pays développés. Les candidats à la FIV/DPI doivent donc consentir à aller à l’étranger, et disposer du budget correspondant : un autre exemple de médecine à deux vitesses …
ECHECS D’IMPLANTATION REPETES : UN PROBLEME PLUTÔT EMBRYONNAIRE
Une très large étude rétrospective publiée l’an dernier a permis d’établir que la quasi-totalité des échecs d’implantation étaient en réalité dus au fait que le « bel » embryon transféré était en réalité génétiquement incompétent (1). Elle a concerné plus de 4000 couples ayant eu un maximum de 3 transferts d’embryons, tous vérifiés comme euploÏdes par PGT-A : plus de 95% des couples ont obtenu un début de grossesse, ce qui laisse peu de place à des facteurs personnels d’échecs à répétition. Les taux de succès n’ont pratiquement pas varié au fil des transferts : 59,9%, 58,9% et 60,8% pour les 1°, 2° et 3° transfert respectivement. Ceci amène plusieurs conclusions :
- Le taux de succès ne diminue pas au fil des tentatives, ce qui montre qu’il n’y a pas accumulation au fil des essais de femmes à problème d’implantation : sans quoi le taux de succès diminuerait progressivement.
- Moins de 5% des femmes peuvent être considérées comme « mauvaises implanteuses », encore que certaines d’entre elles auraient peut être conçu lors d’un 4° transfert. Ce sont seulement chez ces patientes que des explorations comme les tests de réceptivité utérine ou l’étude de la flore vaginale ont un réel intérêt.
- Le taux de succès ne dépend pratiquement pas de l’âge de la patiente : la diminution des taux de grossesse avec l’âge tient au fait qu’obtenir un embryon euploïde est de plus en plus difficile avec le temps, mais que les chances qu’a un embryon euploïde de s’implanter sont pratiquement les mêmes à tout âge.
POURQUOI UN EMBRYON EUPLOÏDE NE S’IMPLANTE-T-IL PAS TOUJOURS ?
Comment se fait-il qu’une femme qui implante son 3° embryon euploïde n’a-t-elle pas implanté le 1° ou le second ? Cette étude montre en effet que 40% des embryons euploïdes ne s’implantent pas à la suite d’un transfert.
Cela reste encore la grande inconnue du système. Ces échecs restent « accidentels » puisque ces patientes sont devenues enceintes au cours d’un transfert ultérieur. Ces phénomènes de chance /malchance recouvrent sans doute une situation plurifactorielle : qualité du DNA de l’ovocyte ou du spermatozoïde, IMC, consommation de toxiques, facteurs psychologiques, exposition aux reprotoxiques … L’étude montre en tous cas que les femmes présentant un réel problème d’implantation sont extrêmement rares, à condition de leur transférer des embryons génétiquement compétents.
LE DPI POUR TOUTES ?
Le transfert d’un embryon euploïde n’etant pas suivi à coup sûr de grossesse, il convient de ne s’alerter qu’après plusieurs échecs de transfert de « beaux » embryons.
Combien d’échecs ? Il n’est pas possible d’apporter une réponse générale. Dans l’étude citée, les patientes ayant effectué 3 transferts d’embryons euploïdes sans succès pouvaient être considérées comme mauvaises implanteuses. La possibilité d’obtenir des embryons génétiquement compétents étant surtout liée à la qualité ovocytaire, les patientes de la trentaine ont la possibilité de persévérer dans leurs tentatives ; par contre, les patientes de la quarantaine ont le droit de se poser assez rapidement la question de savoir si elles produisent réellement des embryons euploïdes.
Au-delà des protocoles figés, seul l’examen attentif de la situation particulière de chaque couple permet d’apporter une réponse à cette question difficile …
1-Cedars MI, Scott RT, Devine K et Coll. Recurrent implantation failure : reality or a statistical mirage ? Consensus statement from the July 1, 2022 Lugano Workshop on recurrent implantation failure. Fertil Steril 2023; 120: 45-59.