Il se passe actuellement chez nos voisins d’outre-Manche une véritable révolution menée par des femmes de la cinquantaine afin de faire reconnaitre que la ménopause constitue pour elles un phénomène certes naturel, mais souvent invalidant. Il a suffi qu’une présentatrice réputée de la télévision britannique atteigne cet âge critique pour s’apercevoir qu’elle n’y avait jamais pensé, et qu’elle ne connaissait rien sur le sujet. Puis qu’ayant souhaité réaliser une émission à ce propos, elle ait été stupéfaite de ne trouver personne pour accepter de venir parler de sa ménopause. Elle a décidé alors de faire part en direct et sans fard des difficultés qu’elle rencontrait dans cette période de sa vie : ceci a immédiatement déclenché un afflux aussi considérable qu’inattendu de correspondances de femmes isolées dans les mêmes problématiques, libérant ainsi leur parole, un peu sur le mode #Metoo.
Depuis cette prise de conscience, plusieurs documentaires grand public ont été réalisés et diffusés sur les risques de la privation estrogénique. La plupart des femmes anglaises savent maintenant que la ménopause ne représente pas seulement une simple manifestation du vieillissement naturel. Elles apprennent qu’elles sont exposées à un surrisque de maladies cardiovasculaires, et de perte de leur masse osseuse ; et qu’en dehors même de ces risques majeurs à moyen terme d’infarctus, d’ AVC ou de fractures, la perte du pouvoir protecteur des hormones estrogéniques peut affecter tous les organes porteurs de récepteurs à l’estradiol, c’est à dire pratiquement tous les systèmes de leur organisme. Des mouvements de consommatrices se sont créés, demandant la prise en compte et la prise en charge des manifestations pénibles dont plus de la moitié des femmes sont affectées en périménopause. Ils ont leurs égéries, et aussi leurs militantes (« menopause warriors »,les guerrières de la ménopause*) qui réclament haut en fort une reconnaissance de la pénibilité de leurs symptômatologie, par exemple en pouvant aménager leur temps de travail. Elles vont manifester jusque devant la Chambre des députés pour exiger une meilleure accessibilité au traitement hormonal, seul capable de soulager leurs troubles et de prévenir ces dégradations. Elles ont même réussi à faire déposer un projet de loi afin de faire baisser les prix et de faciliter ainsi l’accès à ces traitements. Un effet de cette véritable révolution culturelle est par contre d’avoir créé une pénurie dans les traitements hormonaux, l’estradiol sous ses différentes formes devenant parfois difficile à se procurer.
A 40 km des côtes anglaises, les femmes françaises dans leur ensemble en sont encore au stade d’avant. La France reste d’un des rares pays de la planète où « les hormones donnent le cancer », et où les traitements hormonaux en général sont diabolisés. Il faut reconnaître qu’ici les femmes sont soigneusement entretenues dans leur ignorance des conséquences de la ménopause par des media surtout concentrés par les sujets « djeuns » ou « sexy ». La ménopause n’est hélas ni l’un ni l’autre. Les rares émissions de télévision où le sujet est abordé n’évoquent que timidement les traitements hormonaux, moins pour affirmer les bénéfices qu’ils procurent que pour en souligner les risques. Quant aux magazines « féminins », qui seraient les mieux placés pour diffuser une information sérieuse et objective, il ne faut pas compter sur eux : ils s’adressent essentiellement aux femmes jeunes, éventuellement aux seniors, mais ignorent largement celles qui sont entre ces deux âges. Dans leurs rares articles sur la ménopause, ils ne proposent que la marche, le yoga, la méditation ou des médications du type cosmétique, soja et autres huiles essentielles, qui ont sans doute leur utilité, mais qui restent rigoureusement inefficaces face aux problématiques réelles de la ménopause ; à leur décharge, ces journaux vivent essentiellement de la publicité pour ces produits, et auraient gros à perdre si un traitement à la fois curatif et préventif efficace des troubles de la ménopause venait à se diffuser. Quant aux mouvements féministes, si prompts à s’enflammer pour tout ce qui leur semble une atteinte aux droits des femmes, leur silence à ce propos est assourdissant, la ménopause restant sans doute pour elles un non sujet.
Les Sociétés Savantes ? Elles font leur travail, mais leur visibilité reste faible. Le corps médical ? Une partie en est restée à la calamiteuse étude WHI, qui en 2002 a stoppé net le THM, dont la moitié des femmes ménopausées, avec ou sans symptômes, bénéficiaient alors. On pourrait espérer en fin de compte que la CPAM prenne en mains une véritable politique de prévention des troubles dégénératifs post-ménopausiques, quitte à en faire une cause nationale ? Elle paraît malheureusement très peu soucieuse d’ouvrir une nouvelle source potentielle de dépenses : l’ostéodensitométrie, par exemple, qui renseigne sur le risque d’ostéoporose, un examen dont toute femme arrivant à la ménopause devrait systématiquement bénéficier, n’est même pas remboursée, sauf en cas de lourds antécédents.
D’où viendra la prise de conscience en France ? Il faudra sans doute attendre que quelques femmes décident que la pénibilité de leur situation justifie des actions spectaculaires pour être prise en compte par la société. Un signe encourageant : cela a été récemment le cas pour l’endométriose, affection gynécologique douloureuse et largement ignorée, qu’un collectif de femmes a porté au-devant de la scène médiatique.
Après l’endométriose, la ménopause ?
*C. Ducourtieux « Les britanniques en plein bouleversement hormonal »,Le Monde Supplément