La presque totalité des examens et des traitements de l’infertilité du couple concerne la femme. Il est vrai que l’essentiel du processus de reproduction a lieu chez elle, et que le rôle biologique de l’homme se borne à apporter sa semence au bon endroit et au bon moment. Mais il existe une autre raison : les anomalies du sperme, responsables de l’infertilité du couple dans un bon tiers des cas, en sont restées à un stade très rudimentaire des connaissances, d’où des explorations limitées, et surtout des traitements quasi inexistants.
DES DIFFERENCES PHYSIOLOGIQUES
Un seul gamète féminin, ou ovocyte, est ovulé par l’ovaire au moment de chaque ovulation à partir du follicule mature. Celui-ci est le produit d’une sélection sévère à partir de plusieurs centaines de follicules recrutés dans le pool ovarien à chaque début de cycle : elle aboutit à l’ovulation du plus compétent d’entre eux, après un processus de sélection puis de dominance qui s’étend tout au long de la première partie du cycle menstruel. Cette évolution se produit sous l’influence précise des deux hormones gonadotropes hypophysaires, FSH et LH : le processus ovulatoire est essentiellement hormonal. Ces mécanismes ont été minutieusement disséqués, puis reproduits par les cliniciens grâce à l’utilisation de stimulateurs hormonaux : toutes les anomalies de l’ovulation sans exception bénéficient d’un traitement efficace. Il est également possible de déclencher, ou au contraire de bloquer l’ovulation presque à loisir, et la stimulation ovulatoire peut même délibérément provoquer des situations pour lesquelles l’ovaire n’est pas programmé, comme l’hyperstimulation folliculaire contrôlée préparatoire à une fécondation in vitro.
La situation est très différente chez l’homme, dont les testicules produisent chaque jour plusieurs centaines de milliers de spermatozoïdes (spz), qui s’accumulent dans les ampoules déférentielles entre les éjaculations. Ces spz proviennent d’une différentiation progressive à partir de cellules souches (spermatogonies), de la périphérie vers la lumière des tubes séminifères : spermatocyte I puis II, spermatide et finalement spz ; cette évolution dure 80 jours. A ce stade, les spz sont encore immatures, immobiles et non fécondants : ils vont acquérir leurs propriétés par la suite au cours de leur transit de 3 semaines dans l’épidydime, avant de rejoindre le canal déférent. Une spermatogénèse complète dure donc un peu plus de 3 mois.
La grande majorité des anomalies du sperme porte sur la baisse de concentration en spz (oligospermie, et à l’extrême, azoospermie), généralement associé à une mobilité insuffisante (asthénospermie) et/ou à une raréfaction des spz normalement constitués et seuls fécondants (tératospermie). L’essentiel des oligospermies est dû à un blocage de leur maturation intra-tubulaire. Cette anomalie n’est pas de nature hormonale : si un environnement hormonal est certes nécessaire à une spermatogénèse normale, ces blocages de maturation ont lieu en présence de dosages hormonaux normaux : les anomalies du sperme ne sont donc pas accessibles aux traitements stimulateurs hormonaux efficaces chez la femme. Rappelons en effet que les gonadotrophines FSH et LH sont les mêmes dans les deux sexes : FSH pour la maturation du gamète (ovocyte ou spz) et LH pour la sécrétion hormonale gonadique (estradiol ou testostérone).
DES CONSEQUENCES THERAPEUTIQUES
Il n’existe pratiquement que deux causes curables d’infertilité masculine, parce que parfaitement identifiées :
- Les rarissimes hypogonadismes hypogonadotropes, d’origine génétique, et responsables d’azoospermie : l’hypophyse ne secrète pas de FSH ni de LH ; il suffit d’administrer ces deux hormones pour voir apparaître des spz dans l’éjaculat au bout de quelques mois.
- Les varicocèles, dilatations variqueuses des veines spermatiques généralement gauches : le sang veineux qui y stagne provient de l’intérieur de l’abdomen, à une température d’environ 38°. Les testicules, justement situés à l’extérieur du corps car leur fonctionnement nécessitent une température inférieure, sont ainsi soumis à un réchauffement qui perturbe la spermatogénèse. L’interruption de ce flux veineux par chirurgie ou phlébothrombose échoguidée ramène les testicules à un fonctionnement normal et améliore assez souvent la spermatogénèse.
Dans pratiquement toutes les autres situations, l’origine du blocage de la spermatogénèse reste inconnue : mécanisme hormonal local autocrine ou paracrine ? Immunitaire ? Génique ? Toxique ? On est ainsi amené à se demander quelles sont les raisons qui expliquent que rien ne soit possible chez l’homme alors que tout paraît possible chez sa compagne ? Il y en a au moins deux :
- On peut certes arguer que la recherche est plus récente chez l’homme, qui n’accepte que depuis relativement peu de temps de considérer qu’il pourrait lui aussi être à l’origine de l’infertilité de son couple : le spermogramme n’était pas facile à obtenir dans les années 80, alors que tous les stimulateurs de l’ovulation étaient déjà au point.
- On peut aussi prétendre que le tube séminifère et ses secrétions sont certes difficiles à explorer … En cas d’anomalie du sperme, les examens de bilan sont peu nombreux en dehors de l’examen clinique : dosages hormonaux, échographie testiculaire, parfois une exploration génétique … : c’est à peu près tout.
En fait, et paradoxalement, la cause principale de cette ignorance provient des solutions imaginées pour pallier au déficit masculin : l’assistance médicale à la procréation (AMP) permet d’obtenir des grossesses avec le sperme tel qu’il est : insémination intra-utérine s’il existe suffisamment de spz valides, fécondation in vitro avec micro-injection (FIV/ICSI) dans le cas contraire. Il est même possible d’effectuer des FIV alors même qu’il n’existe aucun spz dans l’éjaculat : avec des spz prélevés par biopsie à l’intérieur du testicule lui-même.
Dès lors, pourquoi « perdre son temps » à essayer de comprendre la ou les causes de ces blocages de maturation, et d’espérer mettre au point un traitement aussi simple que la stimulation ovulatoire, et permettant de rétablir la spermatogénèse ? De fait, le nombre de publications montre que les recherches se sont beaucoup raréfiées dans ce domaine, tous les crédits étant plutôt orientés actuellement vers l’amélioration des résultats de la FIV.
On pourrait se contenter de cette situation, puisque la fin justifie encore une fois les moyens, et qu’un couple infertile par anomalie du sperme a ainsi autant de chances de procréer qu’un couple infertile pour d’autres causes. Il reste que c’est encore le partenaire féminin qui doit supporter le stress et le fardeau de ces procédures volontiers pénibles, alors même qu’il s’agit au départ d’un problème masculin.
On ne peut même pas parler d’un autre exemple de machisme : si les acteurs masculins étaient prééminents aux débuts de la médecine de la reproduction, les centres d’AMP se sont beaucoup féminisés au cours des dernières décades sans que cette situation évolue.