C’était une journée de consultation comme les autres, même si ces journées qui se suivent ne se ressemblent jamais. Le couple devant moi avait longtemps parlé de ce bébé qui ne venait pas, et des démarches entreprises en vain jusque-là. Il était d’accord avec les quelques examens complémentaires que j’avais proposés, afin de fixer une nouvelle stratégie. Mais, au moment de se lever, Monsieur me tend un document, dans lequel je reconnais une veille coupure du journal Sud-Ouest, et me dit : « Je suis Eric, le premier bébé éprouvette bordelais ».
Malgré la surprise, ce grand bond en arrière de 37 ans m’a tout de suite fait revenir une image : notre joie lorsque le test de grossesse est revenu positif à Noël 1982.
C’est le long chemin incertain vers ce succès que je me propose de retracer, en confrontant mes propres souvenirs avec ceux de mes amis et co-équipiers de l’époque, dont l’un, Guy Discamps, biologiste, nous a malheureusement quittés depuis.
Lorsque Robert Edwards et Patrick Steptoe annoncèrent au monde la naissance en 1978 de Louise Brown, premier enfant issu de la rencontre en laboratoire des gamètes de leurs parents, nous avons tout de suite compris qu’un pas immense avait été franchi, pour tous ces couples dont l’infertilité était due à des trompes utérines abimées de manière irréversible. Les stérilités tubaires constituaient en effet depuis les années 70 une étiologie majeure, puisqu’elles touchaient de l’ordre de 25% des couples infertiles ; elles étaient secondaires aux maladies sexuellement transmissibles, gonococcies et infections à Chlamydiae principalement. Il n’existait jusque-là aucun moyen de contourner la trompe utérine, véritable sanctuaire au sein duquel se produit la rencontre des spermatozoïdes et de l’œuf, puis la fécondation et les premières divisions embryonnaires, avant que l’embryon ne gagne la cavité utérine pour s’y implanter. Le seul espoir était la chirurgie tubaire, qui donnait effectivement des résultats honorables, mais variables selon le siège de l’obstruction et la qualité de la muqueuse tubaire ; la microchirurgie elle-même avait ses limites, et beaucoup de femmes étaient opérées une … ou plusieurs fois en vain, terminant parfois leur parcours par une grossesse extra-utérine. C’est dire à quel point le succès du projet de fécondation in vitro (FIV) était attendu.
Ce succès n’est d’ailleurs pas allé de soi : beaucoup de collègues de par le monde ont d’abord pris cette nouvelle pour une escroquerie médico-scientifique avant que l’accumulation des évidences ne les fasse changer d’avis. Pour notre part, nous avions au contraire tout de suite mesuré l’importance de cet accomplissement, pour avoir visité R. Edwards à Cambridge en 1975 alors qu’il fécondait en laboratoire des ovocytes de souris, et avoir suivi ses communications scientifiques successives relatant ses nombreux échecs avant sa réussite finale.
C’est au Congrès International de Fertilité de Venise à l’automne 1978, où nous faisions une présentation sur les anticorps anti-spermatozoïdes, que nous assistâmes, admiratifs, aux exposés d’Edwards et Steptoe sur les péripéties ayant conduit à a naissance du premier « bébé éprouvette » au monde. Mais l’affaire nous parut si ardue, et pour tout dire hors de portée de nos possibilités tant techniques que matérielles, que nous n’y pensâmes plus. L’idée faisait quand même son chemin, car dès 1981 les couloirs des différentes réunions médico-scientifiques bruissaient de rumeurs sur des débuts de grossesse obtenus par FIV par telle ou telle équipe hexagonale : jusqu’à l’annonce de la naissance d’Amandine en Février 1982, premier « bébé éprouvette » français, succès obtenu par l’équipe parisienne de Clamart.
Une chose était désormais certaine : les équipes qui ne maitriseraient pas la FIV ne seraient rapidement plus en mesure de prendre en charge les couples infertiles. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes concertés afin de mettre sur pied une équipe capable de réussir, et de lui en donner les moyens.
L’EQUIPE
Elle existait déjà en partie, et il suffisait d’en réunir les compétences. Le projet de FIV nécessitait au départ de maitriser l’ovulation, donc la participation d’un endocrinologue et d’un biologiste, et de récupérer les ovocytes, donc la présence de chirurgiens gynécologiques familiers de la coelioscopie. Par chance, ces compétences existaient déjà dans notre équipe, et ce à un niveau élevé. Il faut dire qu’à l’époque Bordeaux constituait en France avec Paris les deux grands pôles de fertilité humaine : pratiquement tous les spécialistes mondiaux de cette spécialité étaient venus ou venaient à Bordeaux partager leur expérience avec nous. Qu’on en juge :
Alain Audebert, chirurgien gynécologue, était en pointe en France sur la caelioscopie et le traitement chirurgical et microchirurgical des lésions tubaires ; il était invité dans le monde entier pour venir faire des démonstrations de son savoir-faire : un atout précieux pour les recueils ovocytaires qui à l’époque étaient uniquement réalisés par coelioscopie.
Jean-Claude Emperaire, endocrinologue de la reproduction, avait été en France le premier à congeler du sperme humain en 1972, permettant ainsi l’apparition des banques de sperme. En 1982, il préparait la 3° édition de son livre, « La gynécologie endocrinienne du Praticien », qui a formé des générations de médecins dans cette discipline : un atout précieux pour la gestion du cycle de ponction.
Serge Laruë-Charlus, chirurgien gynécologue exclusif formé à la coelioscopie : un atout précieux lorsque les recueils ovocytaires devaient pouvoir avoir lieu tous les jours, et 24 heures sur 24.
Alain Ruffié, biologiste, avait été l’un des pionniers des dosages rapides d’estradiol urinaire, apport crucial dans la surveillance des stimulations ovulatoires. En 1980, il était l’un des rares biologistes français à disposer de dosages radio-immunologiques plasmatiques, beaucoup plus précis que les dosages urinaires : un atout précieux pour déterminer le moment opportun du recueil ovocytaire.
Il manquait par contre pratiquement l’essentiel : un biologiste capable de mettre en fécondation les ovocytes recueillis, puis de mener à bien une culture embryonnaire. Nous nous sommes alors tournés vers Sauveur Verdaguer, biologiste de l’équipe déjà rompu aux techniques de culture cellulaire in vitro. Il a accepté sans hésitation ce challenge, parfaitement conscient néanmoins de la difficulté de l’entreprise, après s’être assuré du concours de son collègue et ami Guy Discamps, médecin biologiste retraité comme lui des hôpitaux militaires. N’ayant alors jamais vu en encore moins manipulé d’embryon, il lui a fallu se résoudre à recourir à l’assistance des rares équipes déjà opérationnelles dans ce domaine totalement nouveau pour la quasi-totalité des biologistes. Après avoir été sèchement éconduits par l’équipe pionnière de l’hôpital Clamart, qui s’opposaient à ce que la FIV puisse avoir lieu en secteur médical privé, il a entamé un parcours initiatique qui l’a conduit à frapper à différentes portes : parfois improbables, voire incongrues, comme le centre de reproduction vétérinaire de Casteljaloux où il était possible de visionner des embryons, de vache certes, mais tellement ressemblants à ce stade. Avant finalement d’être bien accueilli dans le service du Pr B. Hedon à Montpellier, dont la grossesse FIV en cours devait se terminer par la naissance du deuxième « bébé éprouvette » français.
C’est en fait au cours d’un séjour à Bourne Hall, le saint des saints où nous avait amicalement invité « Bob »Edwards en 1982, que nos amis biologistes ont pu avoir accès au secrets de la culture embryonnaire. Les choses avaient beaucoup évolué depuis trois ans, et notamment la mise à disposition de milieux de culture adéquats, ce qui rendait envisageable la mise en oeuvre d’une telle technique dans une structure comme la nôtre. Le savoir-faire de S. Verdaguer et G. Discamp pour les cultures cellulaires in vitro, qu’ils avaient longuement réalisées précédemment dans leur laboratoire de virologie de l’Hôpital militaire Robert Picqué, leur permit non seulement de progresser rapidement, mais aussi d’apporter d’importantes simplifications dans les techniques de culture embryonnaire. Par exemple, la survie et le développement des embryons in vitro exigeaient la stabilité du pH dans le milieu de culture ; il fallait donc éviter la fuite du CO2 lors de l’incubation à 37°. Pour y parvenir, la technique consistait alors à effectuer la culture sous une couche protectrice d’huile de paraffine, ce qui rendait très inconfortables les manipulations ultérieures. Nos biologistes avaient alors pensé à avoir plutôt recours à la bonne vieille technique du « candle jar » utilisée pour la culture de certaines bactéries qui présentaient des exigences comparables : une enceinte hermétique dans laquelle la concentration adéquate en CO2 était obtenue lorsque s’éteignait la bougie préalablement allumée. Mais la mise à disposition à la même époque par l’industrie de mélanges gazeux aux concentrations souhaitées dans l’enceinte hermétique dispensa du recours à la bougie. Un autre exemple est celui du matériel de culture in vitro : les biologistes remplacèrent tubes à hémolyse ou boîtes de Petri par des boîtes carrées à cupules utilisées depuis longtemps pour les cultures cellulaires in vitro. L’utilisation de ce matériel, ainsi que l’élimination de l’huile de paraffine, facilitèrent grandement les manipulations tout en permettant l’observation directe de l’embryon au microscope. S. Verdaguer et G. Discamp, avec notre collègue W. Fechtinger rencontré lors d’une réunion scientifique à Barcelone, furent sans doute les premiers à utiliser ce matériel de culture, qui devait par la suite faire rapidement l’unanimité.
LES MOYENS
Encore fallait-il trouver une structure capable d’accueillir le projet, qui nécessitait entre autres un laboratoire dédié et une salle d’opération fonctionnelle 24 heures sur 24 sept jours sur sept. Les recueils ovocytaires devaient en effet avoir lieu en cycle naturel, où l’ovulation peut se produire à n’importe quelle heure de la journée ou de la nuit ; ils devaient avoir lieu en milieu chirurgical, par coelioscopie et sous anesthésie générale. Cette méthode, où la stimulation ovulatoire n’était pas encore pratiquée, exigeait alors des disponibilités importantes de la part des praticiens, mais aussi de l’établissement de santé afin de répondre aux imprévisibles exigences de l’activité ovarienne.
Les sites chirurgicaux où opéraient alors A. Audebert et S. Laruë-Charlus ne disposaient malheureusement pas de local disponible pour installer un Centre de FIV : autant à la Clinique Tourny qu’à la Clinique du Tondu, il n’existait pas de surface pouvant être dédiée à cette activité. A la Clinique Jean Villar de Bruges, où les choses apparaissaient plus faciles du fait d’une activité de maternité, la question n’a pas paru d’emblée souhaitable, pour au moins deux raisons.
L’une était d’ordre théorique : il faut rappeler qu’à l’époque l’école obstétricale bordelaise était d’obédience catholique rigoriste, et le principe même de la FIV n’était pas considéré d’un bon œil, c’est le moins que l’on puisse dire.
L’autre était d’ordre pratique : il faut aussi rappeler que dans les années 70 – 80, les cliniques privées disposaient d’une autorisation d’occupation d’un certain nombre de lits, et que leur activité était jalousement surveillée par la DRASS (Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales) : de sorte que chaque établissement ne dépasse pas le nombre de journées d’hospitalisation autorisées sur l’année. Si en un sens la rentabilité d’une Clinique exige une forte activité, les confrères voient toujours arriver avec réticence une nouvelle activité, redoutant de se voir refuser leurs propres patients pour cause de suractivité …
Ce sont toutes ces les raisons qui expliquent que, plutôt que de se décourager, nous en sommes venus à la conviction qu’il était nécessaire de monter de toutes pièces notre outil de travail.
A cette époque, la carte sanitaire bordelaise montrait encore de nombreux petits établissements d’activité chirurgicale, de caractère privé, de 40 à 60 lits, dont l’activité était réduite en raison d’insuffisances d’investissements. La Clinique Saint-Sernin, rue de l’Abbé de L’Epée, en faisait partie, et la propriétaire, la Congrégation religieuse des sœurs de Sainte Marthe, était justement prête à céder ses lits et son autorisation d’activité, en raison des charges et du déficit en cours. C’est donc dans l’idée d’y installer notre Centre FIV que nous avons envisagé le rachat ce cette clinique, et débuté les négociations avec la maison mère de la Congrégation propriétaire, qui était située à Périgueux. Les négociations ont certes été facilitées par le fait que le père du Dr A. Audebert, le Dr Raoul Audebert, entretenait d’excellents rapports avec la clinique Sainte Marthe, tenue par la même congrégation, à Angoulême où il était installé. Elles ont été malgré tout longues et éprouvantes à cause de nombreux contretemps, et aussi du fait qu’elles ont englobé en réalité trois discussions : d’une part la discussion comptable avec le représentant de la Congrégation, d’autre part une âpre négociation avec les banques pour obtenir un prêt pour le rachat de la Clinique, et enfin un débat avec les confrères exerçant antérieurement dans l’établissement quant à la poursuite de leur activité.
Le temps comptable fût relativement simple car mathématique, et fut l’affaire des professionnels de la comptabilité, même si cela exigea plusieurs déplacements à Périgueux.
La négociation avec les banques fut par contre nettement plus difficile : le prêt consenti à l’origine était insuffisant pour couvrir à la fois le rachat de l’établissement et les travaux nécessaires à l’équipement du bloc opératoire, et la transformation minimum en chambres individuelles souhaitées par les patientes. Il fallut à S. Laruë-Charlus aller jusqu’à Paris pour rencontrer la direction nationale de la banque, et réussir à obtenir un prêt complémentaire. Encore ce prêt ne fût-il pas consenti à la société d’exploitation, mais sous la forme d’engagement personnel de chacun des médecins acquéreurs de la Clinique. C’est ainsi que notre installation dans la Clinique Saint-Sernin fut finalement possible, et que débuta a minima l’activité FIV. Ce n’est en effet que quelques années plus tard que la transformation en profondeur de la Clinique et la réfection des chambres put débuter, après qu’il ait fallu faire la preuve de la vitalité de l’établissement afin d’obtenir les fonds nécessaires.
La troisième partie de la négociation eut lieu avec les confrères qui exerçaient déjà au sein de la Clinique : les religieuses de la Congrégation avaient en effet cédé l’établissement sous condition de laisser perdurer une activité chirurgicale, et préférentiellement avec les professionnels y exerçant auparavant. Si la direction et tout le personnel de la Clinique furent conservés, dont les deux religieuses qui y résidaient depuis toujours, la répartition des plages opératoires entre anciennes et nouvelles activités fut plus complexe. Peu à peu n’ont perduré que les interventions d’ophtalmologie et de stomatologie, en sus de l’activité nouvelle de FIV et de chirurgie gynécologique.
LA PROCEDURE
Nous avions décidé de reproduire scrupuleusement la procédure suivie par Edwards et Steptoe pour optimiser nos chances d’obtenir un succès en effectuant le moins de tentatives possible.
Le principal challenge était de fournir au biologiste (on ne parlait pas encore d’embryologiste) un ovocyte mûr. Après avoir été déçus par la stimulation ovulatoire, l’équipe anglaise avait obtenu sa première grossesse évolutive sur un cycle sans aucun traitement : c’est pourquoi nous avons opté pour cette technique du cycle naturel ; encore fallait-il être capable d’identifier très précisément le moment de l’ovulation.
Il fait rappeler qu’au cours du cycle féminin spontané, l’ovulation est spontanément déclenchée lorsque le follicule contenant l’ovocyte est parvenu à maturité, par une décharge hypophysaire d’hormones gonadotropes couramment appelée pic de LH. Ce pic provoque également la maturation finale de l’ovocyte que le follicule contient, et qui est indispensable pour qu’il devienne fécondable. Il existe une fourchette de temps très étroite entre le début du pic de LH et la rupture du follicule qui caractérise l’ovulation, de l’ordre de 40 heures : si la ponction effectuée pour recueillir l’ovocyte intervient trop tôt, l’œuf est encore immature et ne pourra pas être fécondé ; si au contraire la ponction intervient trop tard, le follicule s’est rompu, l’œuf s’est perdu dans la cavité pelvienne et est irrécupérable. Ceci explique que le recueil ovocytaire doit intervenir précisément 38 heures à partir du début du pic de LH.
En dehors même de la nécessité qu’un opérateur soit prêt, en sus de son activité habituelle, à intervenir à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, le principal challenge était d’identifier le début de ce pic, ce qui nécessitait un dosage toutes les 6 heures.
La décharge hypophysaire de gonadotrophines passe dans le sang, puis est excrétée dans les urines, mais avec un décalage : l’augmentation du taux urinaire de LH n’intervient que 24 heures après la décharge hypophysaire, ce qui ne laisse plus que 14 heures pour s’organiser ; moins, en réalité, car lorsqu’une augmentation du taux de LH est détectée, ce n’est que le dosage suivant, 6 heures plus tard, qui tranche entre une simple fluctuation ou un pic réel : soit 10 heures seulement avant la rupture folliculaire. D’où l’intérêt de bénéficier du dosage plasmatique, nécessitant une technique radio-immunologique ; celle-ci n’était disponible à l’époque que dans très peu de laboratoires français, dont le nôtre, car Alain Ruffié avait contribué à la mettre au point.
A l’époque, le transfert de l’embryon dans la cavité utérine se faisait dans la soirée ou la nuit, car c’est ainsi que l’équipe de R. Edwards avait enregistré son premier succès, et cette pratique paraissait alors cruciale dans l’espoir d’obtenir un début de grossesse. Les patientes devaient ensuite rester allongées sans bouger pendant 48 heures, ce que nombre d’entre elles ont vécu comme l’étape la plus pénible de leur tentative.
LA DIXIEME TENTATIVE
Après neuf essais infructueux, soit par échec de la récupération ovocytaire (1), soit par échec de fécondation (3), soit par échec d’implantation (5), la dixième tentative fut la bonne.
Elle concernait une sage-femme d’une clinique bordelaise, qui avait accepté le caractère empirique, artisanal et … quasi-expérimental de la procédure.
Au cours d’un cycle spontané monitoré par JC Emperaire et A. Ruffié, l’obtention per-coelioscopique d’un ovocyte mûr par A. Audebert le 6 Décembre 1982 a permis à S. Verdaguer et G Discamp d’obtenir un bel embryon, transféré dans l’utérus deux jours plus tard par S. Laruë-Charlus. Le test de grossesse est revenu positif le 24 décembre. Inutile de souligner que cela a été doublement Noël pour toutes les personnes engagées dans cette aventure, tous les membres de l’équipe et surtout le couple qui en avait accepté les aléas.
La chance a voulu également que cette grossesse évolue jusqu’à son terme sans difficultés, alors que tant d’autres débuts de grossesse obtenus avant nous par d’autres équipes, notamment parisiennes, s’étaient soldées par des fausses couches plus ou moins précoces.
L’accouchement a été pratiqué par le Dr C. Fossat le 9 Août 1983, et Eric est ainsi devenu le troisième « bébé éprouvette » français, un bordelais après un parisien et un Montpellierain, mais surtout le premier obtenu en pratique médicale privée.
Cet évènement, célébré en première page du journal « Sud-Ouest » du lendemain, eut un retentissement considérable sur le plan locorégional, mais aussi national : notamment auprès de nos confrères libéraux qui n’avaient pas reçu un meilleur accueil que nous auprès de l’équipe pionnière. Nous décidâmes d’ouvrir toutes grandes nos portes et de transmettre notre savoir-faire. La clinique Saint Sernin devînt ainsi un Centre de référence dans lequel vinrent se former nombre de spécialistes de l’hexagone, mais aussi de l’étranger ; à l’époque, en effet, les équipes opérationnelles en Europe se comptaient sur les doigts d’une seule main.
EPILOGUE
Cette courte histoire ne fait que confirmer que la mise en commun de savoirs médicaux et scientifiques, portés par un enthousiasme partagé, rend possible d’atteindre un objectif apparemment hors de portée.
Par contre, l’administration a longtemps trainé les pieds pour valider le processus. Après l’obtention de la 4° grossesse évolutive, l’équipe a considéré que la FIV devenait réellement thérapeutique ; S. Laruë-Charlus est donc allé négocier avec les médecins inspecteurs des différentes caisses d’Assurance Maladie afin d’obtenir la prise en charge de la procédure. Ceux-ci acceptèrent de rembourser la coelioscopie de ponction ovocytaire, avec les 2 jours d’hospitalisation afférents à l’époque. Ils refusèrent par contre catégoriquement la prise en charge de de la culture embryonnaire, du transfert utérin et des deux journées d’hospitalisation suivantes : il faut rappeler qu’à l’époque, les patientes devaient rester 48 heures alitées après le transfert. Un recours sur le plan national s’est soldé par un nouvel échec, au prétexte qu’il s’agissait d’ « une procédure encore expérimentale ». Cette décision était particulièrement discriminatoire, à une époque où toutes les autres équipes qui s’étaient mises à travailler sur la FIV en France, avec des résultats très inégaux, opéraient dans le secteur public, où l’ensemble de la procédure était pris en charge. Ceci nous a conforté dans l’idée que sans ce succès rapide de notre Centre privé, la FIV serait actuellement réservée dans notre pays au secteur public, comme les banques de sperme et plus récemment les dons d’ovocyte ; alors que ces dernières procédures ont lieu indifféremment en secteur public ou privé dans tous les pays du monde qui disposent de ces techniques
Cette aventure est aussi intervenue à une époque où tout était à construire, et ou le champ de la reproduction humaine s’étendait, vierge, à perte de vue. Il n’existait alors aucune barrière aux entreprises ni aux imaginations. Il est inutile de souligner qu’une telle aventure serait impossible à l’heure actuelle, entre les principes de précaution, les règles administratives et les lois de bioéthique.
Ces enjeux étaient toutefois déjà perceptibles à l’époque, puisque dès 1985, avec l’accord et l’appui des autres membres de l’équipe, S. Verdaguer constitua un Comité consultatif d’éthique ; il avait la particularité par rapport aux comités déjà existants d’être totalement indépendant et sans aucun lien statutaire ni affectif avec l’équipe de FIV. Il réunissait en son sein des magistrats, des juristes, des représentants des différents cultes, de la Ligue des Droits de l’Homme, de la DRASS, de l’Ordre des Médecins, de l’Université ainsi que des patientes ayant eu recours à la FIV. Pendant près de 10 ans, ce comité souvent cité en exemple dans tout l’hexagone se rendit particulièrement utile en formulant des avis opposables à certaines demandes inconsidérées de la part de patients, mais aussi parfois de confrères. Plusieurs de ces avis ont vu leur pertinence confirmée par le texte de loi de 1994, qui les avait pratiquement repris en l’état.
Article rédigé par JC Emperaire, en collaboration avec Alain Audebert, Serge Laruë-Charlus, Alain Ruffié et Sauveur Verdaguer.