La plupart des couples engagés en AMP se posent à un moment ou à un autre la question de comment gérer leur vie sexuelle : le fait d’avoir des rapports pendant le cycle de tentative est-il susceptible de perturber le processus, et de diminuer leurs chances de réussite ; ou au contraire de favoriser les chances de succès ?
Il y a en effet de quoi être perplexe puisqu’on peut lire çà et là des injonctions contradictoires ; en dehors d’arguments scientifiques, celles-ci reflètent parfois aussi des différences de méthodes ou d’habitudes entre les Equipes d’aide médicale à la procréation (AMP).
Il n’est donc pas inutile d’apporter quelques précisions.
LA DISPONIBILITE DES SPERMATOZOÎDES
Rappelons que le spermatozoïde (spz) se différentie au sein du testicule à partir de cellules reproductrices, les spermatogonies. Cette phase dure environ 3 mois, après quoi le spz immature migre dans l’épididyme, structure qui coiffe le testicule, et d’où part le canal déférent. C’est au cours de ce trajet épididymaire, qui dure une trentaine de jours, que le spz issu du testicule encore immature et immobile, acquiert son pouvoir fécondant. Il y séjourne jusqu’au moment où il est éjaculé. Il existe donc un réservoir épipidymaire de spz, que chaque éjaculation est loin de vider complètement.
Dès que le spz quitte le testicule, il débute certes sa phase de maturation, mais il commence en même temps à être en contact avec des radicaux oxydatifs. Ce stress oxydatif endommage peu à peu l’ADN de son noyau, réduisant d’autant le pouvoir fécondant du spz. Il s’ensuit que, sur le plan reproductif, plus les éjaculations sont rapprochées, meilleure est la qualité des spz disponibles.
Le fait, par exemple, de se priver de rapports sexuels pendant la première partie du cycle pour les réserver à la période ovulatoire est donc en réalité contre-productif.
La question des rapports pendant une tentative d’AMP se pose différemment suivant la stratégie, insémination intra-utérine (IIU) ou fécondation in vitro (FIV). De plus, il convient aussi d’envisager la stimulation ovarienne simple avec rapports sexuels : d’abord parce que c’est la situation la plus proche du physiologique ; ensuite, parce que même si le terme d’AMP est réservé aux méthodes faisant intervenir un laboratoire manipulant spz et / ou ovocytes, la stimulation ovarienne simple est déjà une aide à la procréation, au sens strict du terme.
STIMULATION OVARIENNE SIMPLE
Elle est indiquée en cas d’anomalies de l’ovulation au sens large : son but est de restaurer une ovulation absente, ou d’améliorer une maturation défectueuse du follicule, avant de déclencher l’ovulation lorsque celui-ci a atteint sa maturité.
Après la rupture du follicule, lorsque l’ovocyte arrive dans le tiers externe de la trompe utérine, il involue s’il n’est pas rapidement fécondé, dans les quelques heures qui suivent : les spz doivent se trouver dans les trompes lorsque l’ovocyte y arrive. Ceci implique que, pour être fécondant, un rapport sexuel doit avoir lieu, sinon le jour même de l’ovulation, du moins dans les jours qui la précèdent : les spz peuvent en effet vivre et garder leur pouvoir fécondant pendant plusieurs jours dans les trompes.
En pratique, lorsque l’Ovitrelle est injecté le soir, l’ovulation se produit entre 32 et 36 heures plus tard, c’est à dire dans la journée du surlendemain. Il suffit donc d’avoir un rapport le soir de l’Ovitrelle, ou, mieux, le lendemain soir, pour assurer des chances normales de grossesse.
La multiplication des rapports n’a que peu d’impact sur les chances de succès ; inversement, lorsque le sperme est normal, elle ne comporte pas le risque de l’appauvrir exagérément ni de compromettre l’issue du cycle.
Pendant le reste du cycle, que ce soit avant ou après l’ovulation, la vie sexuelle et la fréquence des rapports n’a aucun impact sur les chances de succès. Mieux vaut quand même avoir des rapports réguliers, surtout lorsque l’on approche de la fin de la stimulation : l’ovulation n’est pas bloquée, et peut toujours se déclencher spontanément avant l’injection d’Ovitrelle. C’est la raison pour laquelle il est plus prudent de doser la LH au cours de la surveillance : si un pic de LH se produit avant l’injection d’Ovitrelle, l’ovulation avance d’autant.
STIMULATION OVARIENNE POUR INSEMINATION
Les laboratoires recommandent généralement une période d’abstinence de 3 à 5 jours avant une insémination artificielle avec sperme de conjoint. Ces instructions sont dérivées de celles concernant la réalisation d’un spermogramme ; mais celles-ci n’ont en réalité été établies que pour pouvoir définir des normes pour l’examen d’un milieu aussi variable que le sperme.
Pourtant, de nombreux travaux effectués en FIV mettent en évidence qu’un délai d’abstinence court, d’un jour voire moins, augmente les chances de grossesse : plus court est le délai depuis la dernière éjaculation, plus faible est le taux de fragmentation du DNA, et donc meilleure est la qualité spermatique (1).
Il n’existe pas encore de travail sur ce sujet en IIU, mais il n’y a pas de raisons de penser que l’amélioration qualitative des spz éjaculés après un délai d’abstinence court, tel qu’établi en FIV, ne se retrouve pas en IIU.
Un rapport la veille de l’insémination, par exemple, ne pourrait donc qu’être favorable à un succès.
Mais les habitudes sont lourdes, et très peu de laboratoires commencent à envisager de modifier dans ce sens leurs instructions de recueil spermatique pour IIU.
Une exception toutefois : lorsque la concentration spermatique est limite, ou lorsqu’il existe un mauvais rendement de la sélection des spz, un rapport trop rapproché est susceptible de faire chuter la quantité finale de spz inséminables au-dessous du chiffre requis de 1 million.
STIMULATION OVARIENNE POUR FECONDATION IN VITRO
L’implantation d’un embryon au sein de la muqueuse utérine est un phénomène principalement immunitaire ; l’embryon représente en effet un corps étranger pour la femme, puisque la moitié de son capital génétique provient du spz. Il serait donc rejeté par le système immunitaire comme tout corps étranger à l’organisme féminin, s’il ne s’organisait pas un système de tolérance.
Le liquide spermatique est un milieu complexe qui contient de nombreuses substances actives : parmi celles-ci, les prostaglandines, qui déclenchent une cascade d’événements au sein du système immunitaire de l’organisme féminin, et favorisant l’implantation.
Il était donc logique de se poser la question de savoir si la présence de liquide spermatique dans le vagin au moment du transfert embryonnaire était susceptible de modifier les chances de succès. Deux grandes méta-analyses sur ce sujet ont abouti à un résultat paradoxal : si le taux de débuts de grossesse apparaissait augmenté par la présence de sperme, le taux de naissances vivantes restait comparable avec ceux du groupe n’ayant pas eu de rapports. Ces discordances s’expliquent en fait par des défauts méthodologiques statistiques.
Mais le dernier travail sur ce sujet évite ces écueils : il s’agit d’une étude prospective en double aveugle en transfert embryonnaire frais : le fait de déposer au fond du vagin, au moment du transfert, soit du liquide spermatique, soit du sérum physiologique donne strictement les mêmes résultats (2).
L’existence ou non de rapports au cours d’une tentative de FIV, particulièrement au moment du transfert, n’a donc aucune influence sur l’issue de la tentative.
Une exception toutefois : lorsque l’état immunitaire de la muqueuse utérine tel qu’exploré par le système Matrice Lab est perturbé, les rapports sexuels sont conseillés après le transfert en cas de sous activation immunitaire, et proscrits au contraire en cas d’hyperactivation.
1-Schiegel PN. We are giving the wrong patient instructions for semen analysis before assisted reproductive technology. Fertility and Sterility 2024; 121:3, 426-427.
2-Pierpoint SC, Goodman LR. Embryos don’t care if the sperm is there. Fertility and Sterility Avril 2024. Sous presse.