Dr Jean-Claude EMPERAIRE

Les articles du Dr Emperaire

L’infertilité inexpliquée n’existe pas !

Toute situation a nécessairement une ou des causes, et l’infertilité n’échappe pas à la règle.

Reconnaitre une infertilité du couple comme inexpliquée signifie simplement que sa cause nous échappe. Il faut savoir que les couples qui sont actuellement considérés comme affectés d’une infertilité inexpliquée (inexplicable, sans cause, idiopathique) sont ceux qui présentent un désir de grossesse depuis au moins un an, et trois examens normaux : un utérus normal et au moins une trompe perméable à la radio (hystérosalpingographie), une ovulation présente et un examen de de sperme (spermogramme) sans anomalie particulière. Cette définition reste en réalité sommaire, car elle exclut trois explorations qui n’ont jamais démérité mais qui ont tendance à être considérées comme inutiles, voire désuètes : une étude précise du déroulement du cycle, une évaluation du comportement des spermatozoïdes dans la sécrétion pré-ovulatoire du col utérin appelée glaire cervicale (test post-coïtal, test de Hühner), et une caelioscopie, examen sous anesthésie générale à la recherche d’anomalies pelviennes indétectables autrement, parfois remplacée par une IRM.

Or il se trouve que l’expérience montre que lorsque ces trois explorations sont pratiquées, il n’existe pratiquement plus de stérilités sans cause à la fin du bilan.

1-Etudier le déroulement du cycle : Un cycle est habituellement considéré comme ovulatoire sur des critères à la fois cliniques et biologiques : cycles réguliers de 26 à 32 jours, courbe de température avec un décalage franc et un plateau post-ovulatoire (lutéal) de 12 à 14 jours, et taux de progestérone >= 10 ng/ml 7 à 9 jours après la montée de la température. Ces critères relativement simples restent trop restreints pour mettre en évidence des altérations subtiles du processus ovulatoire. Ces anomalies de l’évolution du follicule ovarien, structure contenant l’œuf (ovule, ovocyte), susceptibles d’intervenir tout au long du cycle, ne sont retrouvées que lorsqu’on les cherche, car elles nécessitent des explorations spécifiques pour être mises en évidence.

*Une altération du stock ovocytaire : la réalisation systématique d’un bilan de réserve ovarienne entre J3 et J5 associant un décompte du nombre de follicules ovariens visibles à l’échographie et des dosages hormonaux (FSH, LH, estradiol et surtout AMH), a fait prendre conscience au cours des dernières années de la fréquence du tableau d’insuffisance ovarienne débutante, pouvant atteindre dès la trentaine jusqu’à 10% des femmes normalement réglées. (Voir la rubrique «L’AMH : une jauge du réservoir à ovocytes »).

*Une anomalie de la maturation folliculaire : Une évolution défectueuse du développement et de la maturation du follicule, ou dysmaturation, a dû attendre l’apparition de l’échographie pour être mise en évidence. On distingue ainsi :

*Dysmaturation folliculaire précoce : le follicule sélectionné, qui se reconnait à son diamètre de 10 mm à J6-J7, tarde à apparaître ;

*Dysmaturation folliculaire tardive : la croissance du follicule dominant, au lieu d’être harmonieuse, apparaît cahotique ou retardée ; La mise en évidence de ces dysfonctionnements suppose un suivi échographique du cycle spontané jusqu’à et y compris la vérification de la rupture du follicule ou ovulation.

*Une anomalie du pic pré-ovulatoire de gonadotrophines : lorsque le follicule est mûr, le processus ovulatoire est déclenché par une décharge hypophysaire des hormones FSH et LH, appelées gonadotrophines. Ce pic pré-ovulatoire de gonadotrophines doit assurer à la fois 1- la rupture de la paroi du follicule, permettant ainsi la libération de l’ovocyte, 2- la reprise de sa division cellulaire lui permettant de devenir fécondable (meïose), et enfin 3- la mise en place de la glande lutéale (corps jaune) à partir du follicule rompu : sa sécrétion d’estradiol et surtout de progestérone a pour rôle d’assurer au niveau de la muqueuse utérine (endomètre) les conditions propices à l’implantation et au développement d’un éventuel embryon. Il a été montré que les chances de grossesse sont corrélées avec l’amplitude et la durée du pic de LH, les chances les plus faibles étant observées en cas de pics à la fois courts et de faible amplitude ; de plus, ce profil du pic de LH est répétitif chez la même femme dont il semble constituer une caractéristique. Bien qu’elle soit en pratique très difficile à établir en routine clinique, il semble bien qu’une altération du pic de LH puisse s’observer en cas d’infertilité autrement inexpliquée.

*Une anomalie de la rupture folliculaire (follicule lutéïnisé non rompu, LUF): une modification (lutéinisation)trop brutale du follicule arrivé à maturité provoquée par la décharge de gonadotrophines est susceptible de compromettre la fragilisation et la rupture de la paroi folliculaire, et donc l’expulsion de l’ovocyte qui demeure captif. Bien qu’il reste difficile de le démontrer, il semble bien que ce phénomène puisse se produire de temps à autre même chez une femme normalement fertile. Cette non rupture du follicule est maintenant mise en évidence par la surveillance échographique. L’incidence du LUF semble augmentée par la présence d’une inflammation ou d’une endométriose pelvienne, ainsi que par la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens : c’est pourquoi la prise de ce type de médicaments doit être évitée lors de la phase ovulatoire. Son incidence en cas d’infertilité inexpliquée varie selon les études entre 7 et 57%, les taux de récidive sur des cycles successifs chez la même femme oscillant entre 34 et 90%. Le suivi (monitorage) de ces cycles ne montre aucune différence avec les cycles ovulatoires au cours de la période folliculaire, mais la phase lutéale est marquée dans ces cas par un taux faible de progestérone. Il existe deux explications possibles à ce phénomène : un développement défectueux du follicule conduisant notamment à une insuffisance en récepteurs à la LH à sa surface, ou une décharge pré-ovulatoire de gonadotrophines inadéquate. Il est paradoxal de constater que le LUF peut également se produire après une stimulation ovulatoire, que ce soit sous clomiphène ou sous gonadotrophines. L’ensemble de ces données montre que le LUF syndrome est une réalité, et que l’augmentation de son incidence chez les femmes présentant une infertilité idiopathique est susceptible d’apporter une explication pour une partie d’entre elles, d’autant que ce phénomène est accessible à un traitement simple.

*Une insuffisance lutéale : la mise en évidence d’une phase post-ovulatoire (ou lutéale) défectueuse repose sur des critères classiques mais d’inégale valeur :

*Cliniques : l’étude de la courbe de température, lorsqu’elle est interprétable, met en évidence une montée thermique post-ovulatoire lente, au lieu un décrochage franc, et/ou un plateau instable et surtout court (< 10 jours); cette anomalie se rencontre dans 8,9% des cycles ovulatoires, avec une récurrence de 25% ;

*Histologiques : le prélèvement post-ovulatoire d’un fragment de muqueuse utérine (biopsie de l’endomètre) permet de dater la muqueuse selon des critères histologiques stricts et de vérifier si cette date histologique correspond bien à la date chronologique dans le cycle :il peut exister un décalage histo-chronologique au niveau de l’endomètre, le degré de maturation post-ovulatoire de la muqueuse étant en avance ou plus souvent en retard par rapport au jour du cycle. La muqueuse doit pour cela être prélevée entre le 7° et le 9° jour qui suit l’ovulation, elle-même repérée sur le pic pré-ovulatoire urinaire de LH (« tests d’ovulation »), et non sur la date du jour du cycle ni sur celui de l’apparition des règles suivantes.

* Hormonaux : le taux de progestérone mesuré le même jour doit être > 10 ng/ml, alors qu’il suffit d’un taux de 3 mg pour faire décaler la température et observer une courbe thermique apparemment normale. Un taux < 5 ng se rencontre dans 8,4% des cycles ovulatoires, avec une récurrence de 25%, et critères cliniques et hormonaux sont réunis dans 4,3% des cycles ovulatoires ; Cette insuffisance lutéale est elle-même secondaire soit à un développement folliculaire défectueux, entrainant notamment un déficit quantitatif en cellules lutéales, soit à une décharge pré-ovulatoire inadéquate de gonadotrophines.

2-Etudier le comportement des spermatozoïdes dans la glaire cervicale :

Le col de l’utérus est le point obligé de passage des spermatozoïdes vers le site de fécondation que sont les trompes utérines. Il est hermétiquement fermé pour empêcher toute ascension de microbes vaginaux dans la cavité utérine, qui doit normalement rester stérile. Toutefois, au cours des quelques jours qui précèdent l’ovulation, il se charge sous l’action des estrogènes d’une sécrétion de type mucus (glaire cervicale) dont l’accumulation ouvre le canal cervical. Cette sécrétion mucoïde doit présenter des qualités optimales pour une survie et surtout un franchissement aisé par les spermatozoïdes dotés d’une motilité progressive, tout en retenant les spermatozoïdes les moins performants ainsi que tous les éléments immobiles et les débris de toutes sortes, de manière à ce qu’ils n’atteignent pas la cavité utérine stérile. Une glaire insuffisante en qualité et/ou quantité va donc représenter un obstacle à la progression des spermatozoïdes, et donc à la fécondation, même en présence d’une ovulation et d’un sperme d’excellentes qualités. Ces propriétés optimales s’acquièrent sous l’influence du pic pré-ovulatoire d’estradiol, et ne sont présentes qu’au cours des 2 à 4 jours pré-ovulatoires, parfois moins ; elles disparaissent rapidement sous l’effet de la progestérone dès l’ovulation. Les spermatozoïdes pénètrent dans la glaire au cours de l’éjaculation, et surtout dans les quelques minutes qui suivent : la glaire les recueille au niveau de la mare séminale qui s’est formée au fond du cul-de-sac vaginal, jusqu’au moment où l’acidité vaginale, un moment neutralisée par l’éjaculat dont le pH est basique, inactive les spermatozoïdes encore présents dans le cul-de-sac vaginal postérieur. Cette interaction entre le sperme et la glaire ne peut s’apprécier que par le test post-coïtal ou test de Hühner, qui consiste à prélever la glaire endocervicale 6 à 12 heures après le rapport, à noter ses propriétés et à compter le nombre par champ microscopique de spermatozoïdes présentant une motilité progressive en ligne droite. Degré d’ouverture du col, quantité, clarté, filance, cristallisation et pH de la glaire servent à établir le score d’Insler , qui doit être égal ou supérieur à 8 pour que le test soit interprétable. Dans une telle glaire, un test satisfaisant montre au moins 20 spermatozoïdes progressant en ligne droite par champ microscopique x 400. Ce test de réalisation simple et à la portée de tout clinicien doté d’un minimum de curiosité et d’un microscope est de moins en moins réalisé, car on lui reproche notamment son faible pouvoir prédictif quant aux chances de grossesse : on pourrait sans doute en dire autant d’autres tests couramment pratiqués et considérés fiables, comme le spermogramme. Son inconvénient principal est la difficulté de localiser la période de glaire pré-ovulatoire chez les femmes à cycles moins réguliers : en cas de glaire sub-optimale, il est parfois difficile de savoir si la glaire est effectivement médiocre, ou si le jour de l’examen n’est pas le meilleur, d’où la nécessité de répéter un examen parfois invasif pour le couple. L’alternative est alors de réaliser le test sous estrogènes (ethinyl-estradiol 50 µg à partir de J3-J5). La glaire peut alors se montrer constamment insuffisante, de manière constitutionnelle ou à la suite d’agressions cervicales par laser ou conisation

*Un test négatif dans une glaire normale et en présence d’un sperme normal conduit à pratiquer un test de compatibilité sperme-glaire, test de pénétration in vitro direct et croisé, de manière à localiser l’anomalie et mettre en évidence une glaire « hostile » ou des anomalies immunologiques au niveau du sperme ou de la glaire.

*Un test positif in vitro fait rechercher une mauvaise exposition de la glaire au sperme lors du rapport, souvent visible dès le simple examen clinique: un orifice externe du col punctiforme, ou une anomalie de position du col l’empêchant de plonger dans la mare séminale.

3-La caelioscopie :

Pratiquée sous anesthésie générale, l’exploration endoscopique par le nombril de la cavité abdomino-pelvienne est susceptible de mettre en évidence des lésions capables d’expliquer une infertilité jusque-là jugée sans cause ; couplée dans le même temps opératoire à une hystéroscopie, qui explore par les voies naturelles l’intérieur de la cavité utérine, cette endoscopie découvre des anomalies chez un tiers à la moitié de ces femmes qui ont pourtant une exploration radiologique normale : endométriose superficielle ou au contraire profonde et réduisant la fertilité, ou cicatrices et voiles adhérentiels gênant la mobilité tubaire et compromettant la rencontre entre les spermato- zoïdes et l’ovule, polypes ou accolements des parois utérines… Il y a quelques décades, cette exploration était systématique avant de conclure à une infertilité inexpliquée. Elle est tombée en désuétude depuis l’apparition de l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP), à tort puisqu’il n’existe aujourd’hui aucune stratégie validée par les preuves face à une infertilité idiopathique : stimulation ovulatoire simple, insémination intra-utérine voire fécondation in vitro peinent à faire reconnaître leur supériorité par rapport à la simple expectative : certaines études montrent que les couples qui décident d’attendre encore on autant sinon plus de chances de grossesse que ceux qui s’orientent vers l’AMP. Même compte tenu du caractère invasif de la caelioscopie, il reste logique de s’assurer de l’intégrité de l’appareil génital avant d’envisager des thérapeutiques contraignantes, d’autant qu’il est reconnu, sans qu’un puisse l’expliquer, que des grossesses s’installent spontanément dans les mois qui suivent cette exploration. On peut préférer la remplacer par une IRM, capable de mettre en évidence des lésions d’endométriose ou des adhérences, mais qui explore moins bien la cavité utérine et pas du tout la perméabilité tubaire.


En conclusion, La réalisation systématique de ces quelques tests indolores et dans l’ensemble peu invasifs, qui peuvent être réalisés au cours d’un seul et même cycle, permet de réduire considérablement le nombre d’infertilités inexplicables. Anomalies du développement folliculaire, de l’ovulation ou de la glaire cervicale, pour peu qu’on les recherche, sont très courantes, et parfaitement curables par une stimulation folliculaire simple et bien adaptée, non sans avoir auparavant vérifié l’intégrité des cavités pelvienne et utérine. Elles ont l’intérêt considérable d’éviter aux couples concernés de se trouver projetés sans raison bien claire ni nécessité particulière dans l’univers beaucoup plus invasif et contraignant de l’AMP.

 

Les derniers articles

AUTOUR DE L'INFERTILITÉ

AUTOUR DE LA MENOPAUSE